La qualité de l’eau au cœur des travaux d’Émilie Jardé

Publié par CNRS Bretagne et Pays de la Loire, le 25 février 2025

De la Bretagne aux Kerguelen, Émilie Jardé traque les molécules organiques présentes dans l’eau. Cette chargée de recherche CNRS au laboratoire Géosciences Rennes (CNRS/Université de Rennes) au sein de l’Observatoire des sciences de l’environnement de Rennes (OSERen) remonte ensuite à leur origine, leur devenir et leur réactivité. 

A l'occasion de la journée internationale des femmes et filles de sciences, le 11 février 2025, et jusqu'à la journée internationale des droits des femmes le 8 mars 2025, découvrez la diversité des recherches menées par les scientifiques du CNRS à travers une série d'entretiens. Cette opération est labellisée Année des Géosciences 2024-2025.


 

Quel est votre parcours ?

J’ai mené des études en géologie à la faculté des sciences de Nancy, ce qui m’a donné des bases naturalistes sur l’observation et la compréhension des paysages. En dernière année, j’ai suivi un cours de géochimie organique qui a été une révélation. Si cette discipline est historiquement liée à la géochimie pétrolière, elle répond également à des thématiques de recherche environnementale via l’analyse de la matière organique. J’ai alors obtenu un doctorat où j’ai étudié les matières organiques présentes dans les boues en sortie de stations d’épuration.
J’ai ensuite effectué un postdoctorat en Oklahoma (États-Unis) où j’ai utilisé des isotopes pour tracer l’origine de molécules organiques, qu’elles soient naturelles ou anthropiques, dans des eaux de surface et souterraines. J’ai été recrutée au CNRS à Géosciences Rennes en 2006.

Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aller vers les sciences et la recherche ?

J’ai été attirée très tôt par les sciences naturalistes, comme la biologie et la géologie. J’étais même fascinée par la vulcanologie. Ce qui m’agite dans la recherche, c’est la curiosité, le désir d’observer et de comprendre. J’aime la rigueur de la démarche scientifique et me nourrir des échanges avec les collègues. Le collectif est primordial en recherche. Et comme mes travaux sont très appliqués, j’ai l’impression de contribuer à la société.

Quels sont vos thèmes de recherche ?

Je suis un peu la « Nellie Bly » de l’eau ! Mes recherches sont ancrées sur les questions de qualité de l’eau superficielle et l’impact des activités humaines sur la dégradation de sa qualité, sous pressions essentiellement agricoles, microbiologiques et chimiques tels que les nitrates, phosphores, pesticides et biocides. D’autre part, les flux de carbone dissous dans les (agro)hydrosystèmes peuvent impacter la santé des écosystèmes et la santé humaine, en ayant un rôle déterminant dans la formation de composés cancérigènes lors de la potabilisation de l’eau ou le cotransport de polluants organiques ou inorganiques.

Les contaminations microbiologiques des eaux représentent une des nombreuses problématiques auxquelles sont soumis les milieux littoraux, empêchant la baignade et contaminant les coquillages, ce qui arrive sur les côtes bretonnes. Des molécules chimiques peuvent tracer les sources microbiennes pour mieux identifier l’origine de ces contaminations et ainsi les gérer. J’ai aussi travaillé au Laos, où l’accès à une eau potable de qualité est un problème sanitaire qui perdure, ainsi qu’aux îles Kerguelen, où je m’intéresse à la nature et à la dynamique de la matière organique dissoute transférée par les rivières, en lien avec la fonte des glaciers sur cette île très isolée où les transferts de matière, vers l’océan Austral, jouent un rôle important en tant que source de nutriments à la base de la chaîne alimentaire océanique.

Quel regard portez-vous sur la place des femmes dans votre discipline ?

Il y a encore beaucoup de choses à faire car les femmes restent sous-représentées en géosciences, et cela s’aggrave au fur et à mesure que l’on monte dans la hiérarchie. Les femmes composent 35 % des effectifs permanents du CNRS, mais seulement 30 % en géosciences, qui impliquent souvent des travaux sur le terrain, parfois dans des environnements hostiles ou isolés. Ces conditions peuvent décourager certaines femmes en raison des préjugés ou des contraintes socioculturelles, comme les questions de sécurité ou de vie familiale. Il faut dépasser ces préjugés en mettant en avant des femmes scientifiques qui pourront inspirer les collégiennes, lycéennes et étudiantes à s’engager dans cette voie.

Quand je suis allée aux Kerguelen en 2017, il y avait dix jours de bateau au départ de la Réunion et la mission durait trois mois sur place. Un collègue masculin, pourtant lui aussi parent et participant à la même expédition, m’a alors dit que j’avais abandonné ma famille le temps de la mission. Ce genre de remarque n’est pas isolée…

Heureusement, le CNRS, comme d’autres institutions, porte des groupes de travail sur les valeurs sociétales. Les femmes y sont cette fois majoritaires, et il faut que le temps qu’elles y dédient soit reconnu et valorisé pour qu’elles continuent à s’engager. 

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