Public / Privé : des frontières sous tension
De longue date, les sociétés occidentales ont institutionnalisé deux grands modes de régulation des rapports sociaux, dotés de légitimités et d’organisations distinctes : le public et le privé. Cette distinction structure également nos catégories de pensée, puisqu’elle informe plusieurs disciplines des sciences humaines et sociales, dont les sciences juridiques françaises distinguant nettement le droit public du droit privé, aux plans tant institutionnels que matériels.
Cette dichotomie n’a néanmoins jamais été absolue ; elle s’est d’ailleurs structurée de manière polysémique : la partition entre secteur public et secteur privé, qui renvoie à l’autonomisation partielle du champ politico-administratif à l’égard du champ économique, ne correspond que partiellement au diptyque espace public / espace privé, qui oppose les lieux ouverts de délibération aux scènes, notamment domestiques, de l’entre-soi. De surcroît, dans les sociétés non occidentales, la partition public / privé a tout à la fois été importée et contestée.
Ici comme ailleurs, cette frontière apparaît aujourd’hui brouillée, du fait des transformations conjuguées de la démocratie et du capitalisme : les dernières décennies ont vu émerger de nouvelles formes d’interdépendances, de compromis et d’hybridation entre ces deux pôles, voire des modes de régulation qui entendent échapper à cette dichotomie. Les sciences humaines et sociales ont elles-mêmes contribué à ces hybridations. Les savoirs gestionnaires ont eu un rôle important dans l’émergence et la diffusion du nouveau management public, référentiel réformateur qui importe des instruments issus des entreprises vers les administrations. Le terme même de gouvernance, qui donne son nom au pôle initiateur de cette journée, est né en science politique pour caractériser des formes d’action publique moins étatiques, où acteurs publics et privés coopèrent de manière plus horizontale que par le passé.
Avec cette journée d’étude, le pôle Gouvernance des institutions publiques et privées de la Maison des Sciences de l’Homme en Bretagne inaugure une dynamique interdisciplinaire de réflexion sur les recompositions de ces deux modes d’organisation collective. À partir de plusieurs thématiques, cette journée a pour objectif d’identifier des problématiques communes aux SHS et de susciter des perspectives de recherche interdisciplinaire relatives tant aux rapports de force public / privé qu’à leurs incidences sur la gouvernance.
La première session analysera les reconfigurations contemporaines des rapports entre secteur public et secteur privé à partir de plusieurs secteurs (environnement, ressources naturelles, protection sociale, économie sociale et solidaire) qui soulignent la tension entre la marchandisation des services publics et l’institutionnalisation des économies non marchandes, ou encore l’attention croissante accordée aux biens communs.
En association avec le pôle Société numérique de la MSHB, la deuxième session traitera de la frontière public / privé à l’ère digitale : le gouvernement urbain des données, la gestion de la "privacy" par les acteurs d’internet et l’évolution des statuts juridiques des œuvres contribueront à identifier quelques nouvelles figures de cette frontière et leurs effets de débordement et de reconfiguration des catégories initiales.
Durant la table-ronde conclusive, des chercheur·es en histoire, économie, droit et science politique échangeront sur la place qu’occupe la partition public / privé dans leurs disciplines respectives, afin de mettre au jour les fondements cognitifs de cette construction historique et d’esquisser leurs recompositions présentes.
Cette journée s’adresse aux doctorant·es et chercheur·es dont les travaux de recherche croisent, de manière implicite ou explicite, ces questionnements. Les actrices et acteurs qui travaillent dans des entreprises, des administrations, des associations et dont l’activité professionnelle ou militante place de part et d’autre de cette frontière, ou encore qui circulent d’un pôle à l’autre, sont également encouragés à s’impliquer dans cette réflexion collective.
Elle se déroulera à Rennes, dans les locaux de la MSHB, et en simultané à Brest, Lorient et Vannes.